Mis à jour le mardi 25 avril 2000
Le pacs risque de susciter un lourd contentieuxEn quatre mois et demi, près de 14 000 pactes civils de solidarité ont été enregistrés. Beaucoup de pacsés ignorent cependant qu'ils ne sont pas automatiquement héritiers l'un de l'autre et qu'ils se trouvent soumis, sauf dispositions contraires, au régime contraignant de l'indivision
Le succès du pacs est-il une bombe à retardement ? 13 972 pactes civils de solidarité ont été enregistrés, dans toute la France, entre l'entrée en vigueur de la loi, à la mi-novembre 1999, et la fin mars 2000. Ce qui, si le rythme des enregistrements ne faiblit pas, devrait mener à un chiffre annuel d'environ 40 000 pacs. Un dixième des couples de concubins qui se constituent chaque année - on en compte 450 000 selon l'Institut national d'études démographiques - se laisseraient ainsi séduire par cette nouvelle forme d'union.
Les associations d' « usagers du pacs », réunies au sein de l'Observatoire du pacs (Act Up Paris, AC !, Aides, Association des parents gays et lesbiens, Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour - Ardhis, Centre gai et lesbien, Prochoix), qui, toutes, ont lutté pour cette reconnaissance du couple homosexuel, n'osent pourtant se réjouir. Dans un rapport qui sera bientôt rendu public, l'Observatoire fait état des insuffisances de la loi et des nombreux contentieux qu'elle risque de générer. « Le texte est mauvais du point de vue juridique, souligne Daniel Borrillo, professeur de droit à l'université Paris-X . Il y a un véritable marché qui s'ouvre aux juristes pourl'expliquer ! »
MANQUE D'INFORMATION
Au premier rang des problèmes mis en évidence par l'Observatoire figure le manque d'information des postulants au pacs. Un dimanche sur deux, les réunions du Centre gai et lesbien (CGL) sur le sujet font salle comble. « Cela fait six mois qu'on fait service public, qu'on répond à une demandeincroyable. On va éditer à nos frais une plaquette. Où sont les gros moyens d'information promis par le ministère de la justice ? », interroge Caroline Fourest, ancienne présidente du CGL. Une « cellule nationale d'information sur le pacs » (01-40-01-11-25) a été mise en place pour six à huit mois par le ministère de la justice, mais son existence est pour le moins confidentielle.
Quant aux greffiers, censés informer les futurs pacsés sur les incidences juridiques de ce contrat, ils ont parfois bien du mal à en trouver le temps, reconnaît le Syndicat des greffiers de France. Les idées fausses circulent donc, parfois même chez ceux qui ont déjà enregistré leur pacte, puisque le passage chez le notaire ne concerne qu'une petite minorité de partenaires. Le pacs dispense d'un testament et conduit à une transmission automatique des biens entre partenaires, croit-on souvent dur comme fer. Ce qui est totalement faux, mais fut conforté par une bévue du ministère de la justice. Dans la première plaquette d'information sur le pacs distribuée dans les tribunaux, aujourd'hui remplacée, était en effet prévue la possibilité d'introduire des dispositions testamentaires dans un pacs.
PRÉSOMPTION D'INDIVISION
Or le testament est un acte strictement individuel écrit et signé de la main propre du testateur. S'il n'est pas rédigé en bonne et due forme, le partenaire n'hérite donc de rien. Bernard Reynis, notaire, « craint que de nombreux pacsés prévoient dans leur pacte des dispositions testamentaires et, surtout, oublient que le pacs ne remet absolument pas en cause le droit ordinaire des successions, qui fait des enfants et des parents les héritiers réservataires, le partenaire ne pouvant se voir léguer par testament que la quotité disponible ». Déjà, poursuit Me Reynis, un contentieux est apparu entre un pacsé auquel son partenaire, aujourd'hui décédé, avait légué des biens via le contrat de pacs, et la famille du défunt.
Pour éviter ce genre de surprises, un passage chez le notaire n'est pas inutile...mais la loi est dissuasive puisqu'elle impose aux pacsés de remettre deux originaux du contrat au moment de son enregistrement au tribunal d'instance. Or le notaire ne délivre qu'un seul acte authentique ! Autre problème concret au moment de l'enregistrement : la présence obligatoire des deux signataires. « Le pacs était censé répondre notamment aux besoins des malades du sida, rappelle Act Up. Comment font-ils pour pacser quand l'un est au lit ou à l'hôpital ? » Le ministère de la justice semble vouloir trouver une solution en rénovant la circulaire du 10 novembre 1999.
Le régime des biens choisi pour les pacsés par le législateur, l'indivision, « va provoquer de farouches contentieux, tous les juristes en conviennent », affirme Agnès Tricoire, avocate d'Act Up. Pour échapper à ce régime contraignant, les partenaires doivent clairement écarter la présomption d'indivision dans le contrat de pacs en ce qui concerne les meubles meublants (table, chaises, TV, ordinateur...) acquis après la signature du pacs, et lors de chaque acte d'achat ou de souscription pour les meubles non meublants (logement, voiture, actions...). Tout le reste est présumé indivis, c'est-à-dire qu'il appartient pour moitié à l'un, pour moitié à l'autre, même si un seul des deux a financé le bien dans sa totalité.
« Pour un achat d'appartement, le notaire aura le réflexe de poser une question sur un pacs éventuel. Mais est-ce qu'un pacsé pensera à spécifier qu'il achète pour lui seul lorsqu'il acquerra des stock-options ou une voiture ? », s'inquiète Me Reynis, qui prévoit bien des litiges entre pacsé survivant et famille du décédé, et surtout entre pacsés après rupture : en cas de séparation, celui qui a payé le bien indivis (ou ses héritiers en cas de décès) n'ont-ils pas droit au remboursement d'une moitié du bien par l'autre partenaire ? Or ce dernier peut ne pas même avoir été tenu informé de l'achat. Et Bernard Reynis de conclure : « Le législateur a voulu un régime qui ne soit pas la communauté, afin qu'on ne puisse pas faire le parallèle avec le mariage. Cette présomption d'indivision est une nouveauté de notre système juridique. Or le code civil n'avait pas prévu qu'on puisse acheter en indivision sans que l'autre le sache ! »
PERTE DU RMI Pierre Catala, professeur de droit à Paris-II, évoque clairement dans la revue Droit de la famille des éditions du Juris-Classeur (décembre 1999) une « loi mal conçue » : « On ne peut pas adopter entre partenaires la séparation de biens (...). Quel paradoxe de les savoir beaucoup plus étroitement entravés par le régime de la gestion indivise que ne le sont les conjoints par celui de la communauté. » Lors de la rupture, il faudra donc tirer au clair ce qui relève de l'indivision.Une démarche complexe car les pacsés sont censés, selon la loi, liquider eux-mêmes leur communauté de biens. Au Syndicat des greffiers de France, on « craint beaucoup pour l'avenir, pour les ruptures » : « Rien n'est prévu dans la loi. Quand un des deux pacsés ne sera pas consentant, ce sera très lourd. » Une indemnité de rupture est prévue pour « dommage éventuellement subi », mais ses modalités n'ont absolument pas été définies.
Autre surprise fréquente chez les récents pacsés, la diminution, voire la suppression, des minima sociaux qui leur étaient préalablement versés. RMI et allocation adulte handicapé (AAH) dépendent en effet, une fois le pacs enregistré, de l'ensemble des revenus du couple. Les mariés sont soumis aux mêmes contraintes, mais bénéficient immédiatement des avantages de l'imposition commune, quand les pacsés doivent attendre trois ans. Louis Girault, notaire dans le Vaucluse, raconte ainsi avoir vu « deux jeunes femmes se dépacser deux jours après l'enregistrement de leur pacs, parce qu'elles avaient réalisé que l'une d'elles perdait son RMI ».
P. Kr.